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Questions à Pierrick Lefranc :

Pourquoi un chercheur-créateur à Athénor ?
Cela fait plus de dix ans qu’Athénor invite artistes et scientifiques à travailler sur des projets communs (résidences de création, actions culturelles, vulgarisation scientifique, etc.). Désireuse de continuer à expérimenter les différentes manières dont il est possible de penser l’interaction entre l’art et la science, elle a accueilli dans son équipe un artiste-chercheur porteur d’un projet original à vocation résolument sociale. J'ai en effet la spécificité d’être à la fois musicien-compositeur, et d'être diplômé en anthropologie (EHESS). Ce double regard me permet de faire interagir travail de recherche académique et création musicale. Ma recherche doctorale menée avec le soutien d’Athénor s’appuie tout autant sur un travail d’enquête anthropologique que sur créations sonores et musicales. Ainsi, l’un des principaux moteurs de cette recherche réside dans la mise en place d’un dispositif méthodologique expérimental basé sur l’organisation de résidences artistiques, d’ateliers auprès de différents publics (enfants, milieu du handicap) et de concerts dans le domaine de la musique de création, servant de matière à une réflexion anthropologique.

C’est quoi un chercheur-créateur ?
Il se propose de répondre à une question de recherche en produisant conjointement un mémoire de recherche et une œuvre artistique. Pour se faire, il fait interagir une démarche de recherche scientifique et un processus de création artistique. Il y a rétrolalimentation continue de l'une et de l'autre.

Comment en êtes-vous arrivé à vous intéresser au kattajjaq, comme objet musical et anthropologique ?
Depuis maintenant plus de dix ans, en tant que musicien-compositeur, je vais au-devant d’expérimentations avec des chants de gorge issus de différentes traditions musicales. Il a d’abord été question du khöömii, un chant diphonique venu de Mongolie et plus récemment du katajjaq, ce jeu de gorge pratiqué traditionnellement par les femmes inuites. Employer ces techniques vocales dans le « contexte d’usage particulier »  qu’est celui de la musique de création, n’était pas sans poser un certain nombre de problèmes pour notre groupe de musiciens, tout autant éthiques (sur la légitimité de s’approprier une technique autochtone), que pratiques (sur la difficulté d’utilisation d’une technique qui nous est si étrangère), et il apparut nécessaire de les interroger, de les questionner. L’activité musicale s’est alors augmentée d’un travail de recherche en anthropologie qui s’est imposé comme devant nécessairement précéder ou accompagner le processus de création musicale lui-même.

Quels enjeux sont soulevés par la pratique d’une technique musicale traditionnelle et issus d’une culture différente de la nôtre, d'autant plus quand elle a un passé marqué par la colonisation ?
La mise en place de cette Recherche-Création émane effectivement d’un besoin de tirer tous les fils qui m’étaient tendus par une activité de création allant au contact de techniques vocales traditionnelles, pour essayer de faire exister par l’écriture littéraire autant que par la création musicale, tous les enjeux de la pratiquer aujourd’hui (sociaux, politique, etc.) ; mais aussi pour observer attentivement la façon dont elle peut venir interroger et bousculer nos propres habitudes de musiciens ou de spectateurs. Il était finalement question d’essayer de mieux comprendre comment la posture propre à une culture ayant une appréhension totalement différente de la nôtre de ce qui fonde les capacités et les incapacités d’un individus, pouvait possiblement venir modifier notre propre façon d’appréhender le travail artistique et pédagogique, et notamment auprès de personnes en situation de handicap.

Comment le travail d’enquête anthropologique agit sur la création musicale elle-même ?
Se faisant, il est également question d’expérimenter ce qu’un long et patient travail d’enquête au plus près des interactions entre acteurs de la création musicale et de la sauvegarde des patrimoines immémoriaux, peut générer dans un processus de création musicale et de transmission de ces savoirs, dit traditionnels. Dans un jeu de va-et-vient continuel entre musique et recherche, entre création et tradition, entre art et sciences, est-il possible d’interroger en quoi l’interaction entre activité de création musicale et de recherche académique en science humaines et sociales, est en mesure de venir en appui de problèmes rencontrés dans notre société (relation à l’autre ou à l’environnement par exemple).

Quelles sont les principales questions qui guident votre recherche ?  
Que se passe-t-il quand on « fait usage » de ces techniques vocales si particulières basées sur l’imitation de l’environnement immédiat, entre le « cri et le chant » ? Qu’est-ce qu’elles nous « font faire » de neuf, de nouveau, de radicalement autre ? Est-ce que les pratiquer, ou pratiquer avec elles, les observer, les entendre, ne viendrait pas interroger nos manières contemporaines d’exister, mais aussi notre rapport à notre passé (qui est aussi un passé colonial à questionner et à interroger) ? En suivant cette démarche, le katajjaq est-il finalement en mesure de modifier notre rapport à la musique, au son, à la scène, à la production sonore, au handicap, à la communication, etc. ?




 

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