Ma thèse en recherche-création, c’était bien plus qu’un exercice académique.
Ça a été une étape clé pour poser les bases de mon travail et plonger dans des questions avec lesquelles je continue de cheminer aujourd’hui.
Le Katajjaq Inuit au-delà
de la patrimonialisation :
de l’ethnographie à la recherche-création
Speech
"Le katajjaq n’est pas juste une musique, c’est un jeu, un outil vivant, qui bouscule nos repères et nous oblige à faire se rencontrer arts et sciences pour explorer de nouveaux savoirs et façons de sentir."
Résumé (version accessible)
Le katajjaq, ce chant de gorge inuit, peut être abordé de mille façons. Ici, je le vois comme un outil : un jeu qu’on explore, qu’on bidouille, qu’on croise avec d’autres pratiques qu’on connaît mieux. Cette approche met en dialogue différentes façons de connaître, de ressentir, de voir le monde – ce qu’on appellerait chez nous une rencontre entre l’art et la science. Et ça dépasse tout ce que je pensais que la musique pouvait m’apporter.
C’est dans leurs contrastes, leurs chocs, que l’art et la science révèlent leur puissance. Le résultat ? Ils ressortent transformés, agrandis, comme des versions 2.0 d’eux-mêmes.
Avec le katajjaq et les Inuits, je revois complètement ma manière de connaître et de ressentir. Des ponts se créent : entre recherche et création, entre esthétique et savoir, entre les Inuits et nous. Tout ça, grâce à ce jeu inuit.
Résultat : cette rencontre bouscule nos idées de “connaissance” et d’“esthétique”. Ça fait péter nos petites cases, et franchement, ça fait du bien.
Résumé (version plus érudite)
Le katajjaq, ce chant de gorge inuit situé entre le cri et le chant, intrigue depuis toujours. Pourtant, il a aussi déclenché des débats animés : appropriation culturelle, rôle des traditions autochtones dans un monde en crise, ou encore tensions entre universalisme et repli sur soi. Et tout ça a parfois freiné les échanges entre cultures.
Le problème, c’est qu’on a souvent cherché à définir ce qu’est le katajjaq, à le mettre dans une case : art, tradition, patrimoine. Mais en réalité, ce n’est pas juste un objet figé : c’est une activité, un jeu qui fait faire des choses, qui bouscule nos habitudes et nos certitudes. Pour vraiment comprendre ce que le katajjaq peut nous apprendre, il fallait donc arrêter de le regarder comme une relique et commencer à le pratiquer. C’est pourquoi, dans ma recherche, performance et réflexion sont devenues inséparables.
Mon objectif ? Voir comment la culture inuit s’exprime à travers cette technique. En travaillant avec le katajjaq, on découvre qu’il ne se limite pas à être “de la musique”. Il vient chambouler nos catégories habituelles : création, tradition, expérimentation, tout se mélange. En utilisant des outils comme l'(auto)ethnographie, j’ai pu observer comment le katajjaq interagit avec des techniques contemporaines et nous pousse à repenser nos propres pratiques.
C’est là qu’entrent en jeu les dispositifs Arts et Sciences. Ces espaces permettent à des savoirs et pratiques différents de se rencontrer de façon symétrique. Plutôt que de chercher à s’imposer une définition ou une esthétique, on se concentre sur une activité commune, ce qui crée un terrain fertile pour innover et comprendre. Ces dispositifs, déjà éprouvés dans l’art numérique ou contemporain, montrent qu’ils peuvent aussi transformer la manière dont on aborde des traditions vivantes comme le katajjaq.
En suivant le katajjaq, pas à pas, je me suis rendu compte qu’il ne s’agit pas seulement de produire une œuvre ou d’admirer un auteur. Ce qui compte, c’est ce qui se passe quand on se rassemble autour de ces sons. Ces activités créent une “zone grise”, un espace partagé où se rencontrent des problématiques esthétiques et politiques. On ne cherche plus à tout révolutionner avec des grands gestes créatifs, mais à établir un langage commun, basé sur l’écoute et le soin qu’on porte aux autres.
Résumé (version érudite)
Situé entre le cri et le chant, le katajjaq a toujours fasciné les Occidentaux, mais a surtout été à l’origine de nombreuses controverses (appropriation culturelle, équité épistémique, continuité culturelle autochtone). Ces dernières ont entravé les échanges interculturels alors que les savoirs traditionnels apparaissaient dans le même temps comme un moyen de faire face aux différentes crises contemporaines. Ainsi, les musiciens, les compositeurs et les institutions ont beaucoup de difficultés à se frayer un chemin entre les tentations au repli différentialiste et une quête d’universalisme réducteur. L’on observe donc une mise en concurrence de différentes postures, que ce soit celles des scientifiques, des autochtones ou des créateurs. Dans tous les cas, les stratégies adoptées tendent à essentialiser le katajjaq, car les approches, qu’elles soient musicologiques ou patrimoniales, ont avant tout cherché à déterminer ce qu’était le katajjaq, alors que cette technique se présente avant tout comme un dispositif ludique qui fait faire des choses. Il fallait donc davantage porter attention au katajjaq comme activité, qu’au produit de cette activité et c’est pour cette raison que recherche et performance ne pouvaient en aucun cas être dissociées.
L’objectif de cette recherche-création était donc d’essayer de mieux comprendre comment la culture inuit pouvait être distribuée dans le katajjaq en tant que technique. Il s’agissait d’essayer d’observer et de décrire, en situation, sa capacité à venir bousculer des catégories bien établies (comme la musique, la tradition, la création, la participation ou l’expérimentation), quand il est en prise avec d’autres techniques plus contemporaines. C’est en recourant à l’(auto)ethnographie qu’il nous a été possible de rendre compte de la manière dont il est venu interroger nos propres pratiques. L’enquête de terrain devenait alors notre principale contrainte créative et il fallait aussi découvrir les contextes dans lesquels nous pourrions initier cette nouvelle façon d’aborder un patrimoine vivant comme le katajjaq. Les dispositifs Arts et Sciences se sont alors présentés comme un nouvel horizon possible de la patrimonialisation, car induisant la rencontre fructueuse et symétrique de différentes épistémès et pratiques. Ils permettent de s’accorder sur une activité à mener en commun plutôt que sur un ensemble de propositions intellectuelles ou esthétiques. Ainsi, ces dispositifs qui ont montré leur bienfait dans le domaine des arts numériques ou de l’art contemporain ont semblé devoir être généralisés aux arts et savoirs dits traditionnels, réinterrogeant le rôle que pouvaient jouer pour eux des lieux dédiés tout autant à la recherche qu’à la création.
En suivant le katajjaq pas à pas, mais aussi en combinant les forces de l’art et de l’anthropologie, nous avons été amenés à accorder moins d’importance à l’œuvre et à son auteur qu’à ce qui se produit quand l’on se réunit autour d’activités sonores. Nous avons alors mieux compris le rôle commutateur des productions sonores quand elles permettent l’établissement d’une zone grise de la rencontre. Cela nous incita à moins considérer la création comme un renouvellement du langage musical (rupture) que comme une manière d’établir un langage commun (réunion), liant ainsi des problématiques esthétiques, à des problématiques politiques, pour qu’une certaine idéologie du progrès propre au monde de la création fasse peu à peu place à une éthique de la sollicitude.
Mots Clés : Inuit, katajjaq, Patrimoine, Extractivisme culturel, recherche-création, création sonore, pragmatisme, care, Arts et Sciences, jeu
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